samedi 9 janvier 2016

L’égrégore à Tokyo. Un souvenir de l’été 2010



J'ai croisé ce touriste occidental un soir, à un passage clouté de Shinjuku, et noté sa ressemblance avec l'inquiétant acteur anglais David Warner. C’est lui qui interprétait l'idiot que protège Dustin Hoffman dans Les Chiens de pailles de Peckinpah, le photographe de La Malédiction, le suave Jack l'éventreur de C'était demain de Nicholas Meyer et plus tard Thomas Eckhardt dans Twin Peaks, un homme d’affaire qui d’ailleurs travaille avec des Japonais.
C'était demain m'avait beaucoup marqué quand j’étais adolescent : Jack l'éventreur empruntait la machine à remonter le temps d'HG Wells et débarquait dans le San Francisco des années 70. Ce monde de guerres et de crimes, vouant un culte à la violence, a été fait pour moi, ironisait-il. Je pensais alors à Miso Soup de Murakami Ryu, où un psychopathe américain met le feu à des SDF dans les parcs et assassine les hôtesses de bar.
(J'entrais dans Kabukicho...)
Le 14 août, dans l'avion qui me ramenait en France, je retrouvais le touriste de Shinjuku. Coïncidence intrigante mais pas plus troublante que ça. L’homme était donc probablement français. L’observant depuis mon siège, je notais à nouveau la ressemblance avec David Warner : le même casque de cheveux gris, les mêmes lèvres fines et surtout l'étrange regard un peu hypnotique. Détail insolite : la femme avec laquelle il voyageait était sa réplique exacte. J’échafaudais quelques théories, et repensais à cette nouvelle de Jean Lorrain : L’égrégore sur un couple de vampires psychiques, frères et sœurs. « L’égrégore, oh ! c’est tout autre chose : c’est l’inflexible et délétère influence d’un être de ténèbres, d’un mort ou d’une morte s’installant auprès de vous sous l’aspect d’un vivant, s’insinuant dans votre vie et dans vos habitudes et y prenant une odieuse racine. »
Puis je replongeais dans mon humeur maussade. Goodbye Shinjuku, farewell Kabukicho.
A la frénésie tokyoïte allait succéder un retranchement parisien et une masse de travail en retard. Je devais en premier lieu rédiger un document pédagogique sur Douches froides d'Antony Cordier. Le 8 septembre, je me rendais à Niort dans les Deux-Sèvres pour animer une journée de rencontre entre les professeurs et le cinéaste. Dans cette petite ville coquette et très calme, j'étais bien loin des néons de Shinjuku.
Pendant le débat, parmi la petite vingtaine de spectateurs, je remarquais un homme m'évoquant curieusement David Warner, l’inquiétant acteur anglais, l'interprète des Chiens de Paille de ... Il me fallut quelques instant pour réaliser que dans cette salle de réunion, à Niort, dans les Deux-Sèvres, parmi les professeurs, se tenait le touriste français de Shinjuku. A la fin du débat, j’en touchais un mot à l'organisateur. Celui-ci m’assura qu’en effet il s’agissait d’un ami professeur qui avait passé ses vacances au Japon. Il me présenta alors l'homme qui me confirma être bien rentré le 14 août par l'avion de 11h 30. Plus surprenant encore, il était arrivé au Japon le 14 juillet, par la compagnie ANA, soit exactement le même jour que moi. A l'aller nous avions également voyagé sur le même vol.
Si j'avais remarqué cet homme ce jour-là à Shinjuku ce n'était peut-être pas seulement à cause de sa ressemblance avec David Warner. Sans doute l'avais-je déjà croisé dans un festival, pendant d'autres rencontres pédagogiques et l'avais-je en fait reconnu au Japon sans en avoir conscience.

Le soir, je m'amusais à tourner un petit film lynchien dans mon hôtel.